PROPOSITION DE RÉSOLUTION sur le recul démocratique et les menaces pesant sur le pluralisme politique en Géorgie
4.10.2024 - (2024/2822(RSP))
conformément à l’article 136, paragraphe 2, du règlement intérieur
Reinier Van Lanschot, Mārtiņš Staķis, Sergey Lagodinsky, Nicolae Ştefănuță, Markéta Gregorová, Ville Niinistö, Mélissa Camara, Hannah Neumann
au nom du groupe Verts/ALE
Voir aussi la proposition de résolution commune RC-B10-0070/2024
B10‑0083/2024
Résolution du Parlement européen sur le recul démocratique et les menaces pesant sur le pluralisme politique en Géorgie
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions précédentes sur la Géorgie,
– vu les conclusions du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023,
– vu la communication de la Commission du 8 novembre 2023 intitulée «Communication de 2023 sur la politique d’élargissement de l’UE» (COM(2023)0690) et le document de travail des services de la Commission qui l’accompagne, intitulé «Georgia 2023 Report» (Rapport 2023 sur la Géorgie) (SWD(2020)0697),
– vu la Convention de sauvegarde des droits de l’homme,
– vu la déclaration du haut représentant auprès de la Commission européenne du 28 mai 2024 sur l’adoption définitive de la loi relative à la transparence des interférences étrangères en Géorgie,
– vu la déclaration du porte-parole du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) du 12 juin 2024 sur la poursuite des actes d’intimidation, de menaces et d’agressions à l’encontre de la société civile en Géorgie,
– vu le communiqué de presse du Haut–Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme du 15 mai 2024 intitulé «Volker Türk regrette profondément l’adoption de la loi sur “l’influence étrangère” en Géorgie»
– vu l’avis urgent de la Commission de Venise sur la loi de la Géorgie sur la transparence de l’influence étrangère du 21 mai 2024,
– vu l’avis de la Commission de Venise sur les amendements au code électoral qui abolissent les quotas de genre du 22 juin 2024,
– vu l’avis de la Commission de Venise sur les suites données à l’avis conjoint sur le projet d’amendements au code électoral et au règlement intérieur du Parlement géorgien du 22 juin 2024,
– vu l’avis de la Commission de Venise sur le projet de loi constitutionnelle sur la protection des valeurs familiales et des mineurs du 25 juin 2024,
– vu la résolution 2561 (2024) du 27 juin 2024 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe intitulée «Les défis pour la démocratie en Géorgie»,
– vu l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part[1],
– vu l’article 136, paragraphe 2, de son règlement intérieur,
A. considérant que ces derniers mois ont été marqués par d’importantes atteintes à la démocratie en Géorgie, caractérisées par l’adoption précipitée d’une législation antidémocratique critiquée par les Nations unies, la Commission de Venise et l’Union européenne, alors que le pays connaît des attaques contre la société civile et les médias indépendants, des manifestations de masse prolongées et de profondes tensions et polarisations aux niveaux politique et sociétal;
B. considérant que le 14 mai 2024, le Parlement géorgien a adopté en troisième et dernière lecture la loi sur la transparence de l’influence étrangère; que cette loi vise les organisations de la société civile et les médias indépendants en exigeant des organisations non gouvernementales et des médias qui reçoivent plus de 20 % de leurs financements de l’étranger qu’ils s’enregistrent en tant qu’«organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère» et qu’ils s’identifient comme tels; que ces organisations seront soumises à une surveillance accrue, à des obligations de déclaration et peut-être à des sanctions, notamment à des sanctions administratives pouvant aller jusqu’à 25 000 GEL;
C. considérant que la loi a été adoptée dans le cadre d’une procédure qui, selon la Commission de Venise, n’a laissé aucun espace pour une véritable discussion et une consultation constructive, au mépris des préoccupations d’une grande partie de la population géorgienne; que les restrictions imposées par cette loi aux droits à la liberté d’expression, à la liberté d’association et au droit à la vie privée sont incompatibles avec le critère strict énoncé à l’article 8, paragraphe 2, à l’article 10, paragraphe 2, et à l’article 11, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 17, paragraphe 2, à l’article 19, paragraphe 2, et à l’article 22, paragraphe 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, étant donné qu’elles ne répondent pas aux exigences de légalité, de légitimité, de nécessité et de proportionnalité dans une société démocratique, et qu’elles sont également incompatibles avec le principe de non-discrimination énoncé à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme;
D. considérant que le gouvernement géorgien s’est jusqu’à présent abstenu d’appliquer strictement la loi, mais que celle-ci devrait avoir une incidence significative sur les activités des organisations de la société civile et des médias indépendants qui dépendent très souvent de financements étrangers pour exister et exercer leurs activités; que la menace de cette loi a déjà entraîné le musellement de la dynamique société civile de Géorgie, qui est au cœur de la démocratie géorgienne et a largement contribué au contexte dans lequel s’inscrit la décision relative au statut de pays candidat à l’adhésion de la Géorgie à l’Union;
E. considérant que cette législation intervient à un moment où les attaques contre la société civile géorgienne se multiplient et se poursuivent, dans un effort apparent visant à réduire l’espace dévolu à la société civile en privant de fonds les groupes indépendants; que l’adoption de cette loi, inspirée des dispositions législatives russes sur les agents de l’étranger, n’est pas un fait isolé du point de vue géopolitique, mais s’inscrit au contraire dans une tendance observée dans l’ensemble de la région;
F. considérant que le 17 septembre 2024, le Parlement géorgien a adopté une loi sur les «valeurs familiales et la protection des mineurs», qui vise à interdire la diffusion d’informations fiables et appropriées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre;
G. considérant que le Parlement géorgien a adopté ces derniers mois plusieurs amendements au cadre juridique régissant les élections en Géorgie qui modifient le mode d’élection du président et des membres non partisans de la commission électorale centrale, ainsi que des amendements de dernière minute au code électoral;
H. considérant que la politique géorgienne a été historiquement marquée par une corruption systémique et une influence oligarchique, qui continuent d’avoir une incidence sur l’indépendance et l’organisation démocratique des mouvements politiques;
I. considérant qu’en août 2024, le Premier ministre géorgien Irakli Kobakhidze a confirmé que son parti, Rêve géorgien, envisageait, en cas de victoire aux prochaines élections législatives, d’interdire toutes les forces politiques qui s’y opposent, qualifiant l’opposition de «force politique criminelle»;
J. considérant que le vice-président de la Commission / haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le SEAE et les États membres de l’Union ont publié des déclarations exhortant le gouvernement géorgien à s’abstenir d’adopter une législation susceptible de compromettre les progrès de la Géorgie sur la voie de l’adhésion à l’Union européenne;
K. considérant qu’une multitude d’organisations internationales et de hauts fonctionnaires ont appelé le gouvernement géorgien à retirer ces lois néfastes, notamment la Commission de Venise, le Haut–Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, le coordinateur résident des Nations unies en Géorgie, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le Comité pour la protection des journalistes, le Fonds européen pour la démocratie, Freedom House et l’Agence des États-Unis pour le développement international;
1. se déclare profondément préoccupé par le recul démocratique qui s’est accentué en Géorgie tout au long de l’année et en particulier à la veille des élections législatives du 26 octobre 2024; attire l’attention sur un ensemble plus large de lois proposées et adoptées par le parti au pouvoir, Rêve géorgien, ces derniers mois, qui violent le droit à la liberté d’expression, censurent les médias, les sciences et les arts et sont incompatibles avec les normes internationales en matière de droits de l’homme, d’une manière qui aura une incidence significative sur la vie et le bien-être des habitants de la Géorgie;
2. déplore, en particulier, l’adoption par le Parlement géorgien de la loi sur la «transparence de l’influence étrangère» après le rejet du veto opposé par la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili; se déclare préoccupé par le fait que la loi a été adoptée au Parlement géorgien en l’absence des députés de l’opposition;
3. souligne que cette loi rendra impossible, dans la pratique, le travail des organisations de la société civile et des médias indépendants en Géorgie, en raison des charges administratives coûteuses et chronophages, des éventuelles poursuites judiciaires et de l’atteinte à la réputation causée par l’étiquette d’«agent étranger»; insiste sur le fait que, bien que ces organisations reçoivent des financements internationaux, elles ne servent pas les «intérêts d’une puissance étrangère» mais s’efforcent quotidiennement de défendre les droits de l’homme et les espoirs démocratiques des citoyens géorgiens et de leur présenter des informations impartiales sur ce qui se passe dans leur pays;
4. partage les préoccupations exprimées par la Commission de Venise au sujet de l’adoption d’amendements au cadre juridique régissant les élections en Géorgie et au code électoral, en convenant que ces modifications du code électoral auront une incidence majeure sur la perception et la confiance des parties prenantes dans l’impartialité et l’équité de l’organisation des élections;
5. invite les autorités géorgiennes à tenir pleinement compte des préoccupations et à donner suite aux recommandations contenues dans les avis de la Commission de Venise sur les lois adoptées et proposées;
6. condamne les commentaires du parti au pouvoir, Rêve géorgien, concernant son intention d’interdire tous les partis d’opposition, ainsi que la rhétorique polarisante qui qualifie l’opposition de «force politique criminelle»; constate que ces intimidations portent gravement atteinte au processus politique et à la liberté d’expression, et contribuent à susciter un climat de peur; invite l’ensemble des acteurs politiques à s’abstenir de recourir à une rhétorique qui alimente davantage encore la polarisation extrême, à cesser de diffuser de fausses informations au cours de leurs campagnes pour les prochaines élections et à s’engager au contraire à défendre la vérité;
7. condamne la vaste campagne d’attaques, menées par le gouvernement, ciblant des organisations de la société civile et des donateurs internationaux dignes de confiance qui s’efforcent de soutenir la démocratie, l’état de droit et la protection des droits de l’homme en Géorgie; se déclare préoccupé par le nombre croissant de rapports faisant état d’actes d’intimidation, de menaces et d’agressions physiques qui se multiplient à l’encontre de représentants de la société civile, de dirigeants politiques, de militants civils et de journalistes en Géorgie; demande une fois encore que cessent toutes les attaques contre la société civile et les médias indépendants et que soit instauré un véritable climat favorable à l’ensemble de la société civile et des médias dans le pays;
8. rappelle qu’il a soutenu l’octroi à la Géorgie du statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne en 2023, attribué en reconnaissance des efforts inlassables de la société civile géorgienne et des aspirations écrasantes en faveur de l’adhésion à l’Union européenne de la grande majorité du peuple géorgien, à condition que neuf recommandations soient mises en œuvre; souligne que l’adoption récente de plusieurs actes législatifs est en contradiction directe avec les neuf recommandations de l’Union auxquelles était subordonné le statut de pays candidat à l’Union de la Géorgie; souligne en outre qu’il n’y a eu que peu de progrès, voire aucun, en ce qui concerne les neuf recommandations;
9. souligne que le fait de cibler les organisations de la société civile et les médias indépendants d’une manière générale et la législation sur l’influence étrangère en particulier sont incontestablement en contradiction et incompatibles avec les normes et les valeurs de l’Union européenne et avec toute aspiration à adhérer à l’Union; rappelle que la Commission doit présenter, dans le courant du mois, son paquet «élargissement» 2024, qui comprendra une évaluation de la mise en œuvre par la Géorgie des mesures auxquelles a été subordonné le statut de pays candidat;
10. note que la résolution des problèmes en suspens en ce qui concerne l’administration publique, les relations interinstitutionnelles, la bonne gouvernance et la corruption, ainsi que la mise en œuvre des réformes nécessaires du système judiciaire au cours du processus d’adhésion à l’Union, contribueront également à garantir que la société et les institutions démocratiques géorgiennes seront en mesure d’éviter l’ingérence étrangère et le recul démocratique sur le long terme;
11. invite la Commission et les États membres à enquêter sur les conséquences du recul démocratique que ces lois représentent pour leur rôle de bailleur de fonds en Géorgie et à communiquer cette incidence éventuelle au gouvernement et au Parlement géorgiens;
12. considère, conformément à l’article 29 du traité sur l’Union européenne et à l’article 215, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, étant donné que l’état de droit est un principe de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union et que la loi sur l’influence étrangère viole les normes du Conseil de l’Europe en matière d’état de droit telles qu’interprétées par la Commission de Venise, que le Conseil peut adopter une décision concernant des sanctions ciblées;
13. invite les autorités à garantir des élections législatives libres, équitables et crédibles, et à œuvrer sans délai à la dépolarisation et à la réconciliation de la société dans l’intérêt de l’ensemble des Géorgiens; souligne que les droits de l’homme et la démocratie géorgienne doivent être respectés et invite instamment les autorités géorgiennes à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que toutes les organisations de la société civile respectées qui participent à l’observation des élections puissent observer ces élections sans entrave ni ingérence dans leurs travaux;
14. réaffirme son soutien constant aux ambitions démocratiques du peuple géorgien et à son souhait d’un avenir dans l’Union européenne; souligne que des sondages indépendants montrent régulièrement que plus de 80 % des Géorgiens souhaitent adhérer à l’Union européenne, ce qui représente l’un des pourcentages les plus élevés des pays candidats; rappelle que, les années précédentes, la Géorgie avait été à l’avant-garde de l’adoption de réformes conformes à l’aspiration de longue date de sa société à adhérer à l’Union européenne; reconnaît qu’il est encore possible de conforter l’avenir démocratique de la Géorgie en tant que pays candidat à l’Union européenne avec une jeune génération de dirigeants engagés, comme en ont témoigné les manifestations spontanées contre la loi sur les agents étrangers qui ont eu lieu au cours de l’année 2024;
15. charge sa Présidente de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au vice-président de la Commission / haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Service européen pour l’action extérieure, aux gouvernements et aux parlements des États membres ainsi qu’à la présidente, au Premier ministre et au Parlement de la Géorgie.
- [1] JO L 261 du 30.8.2014, p. 4, ELI:http://data.europa.eu/eli/agree_internation/2014/494/2023-11-15.