Résolution du Parlement européen du 4 février 2016 sur l'affaire des éditeurs disparus à Hong Kong (2016/2558(RSP))
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions antérieures sur la situation en Chine, et notamment sa résolution du 16 décembre 2015 sur les relations UE-Chine(1) et sa résolution du 13 mars 2014 sur les priorités de l'Union européenne pour la 25e session du Conseil des droits de l'homme des Nations unies(2),
– vu la déclaration du 7 janvier 2016 de la porte-parole du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) sur la disparition de personnes liées à la maison d'édition Mighty Current à Hong Kong,
– vu la déclaration du 29 janvier 2016 du SEAE sur les inquiétudes de l'Union européenne concernant la situation des droits de l'homme en Chine,
– vu le rapport annuel 2014 de la Commission sur la région administrative spéciale de Hong Kong, publié en 2015,
– vu l'établissement de relations diplomatiques entre l'Union européenne et la Chine depuis le 6 mai 1975,
– vu le partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Chine, lancé en 2003,
– vu l'"agenda stratégique de coopération Chine - UE 2020" adopté le 21 novembre 2013,
– vu les négociations sur un nouvel accord de partenariat et de coopération, qui ont été suspendues,
– vu l'adoption, le 1er juillet 2015, de la nouvelle loi sur la sécurité nationale par la commission permanente du Congrès national du Peuple et la publication, le 5 mai 2015, du deuxième projet pour une nouvelle loi sur la gestion des ONG étrangères,
– vu le dialogue UE-Chine sur les droits de l'homme institué en 1995 et sa 34e session qui s'est tenue à Pékin les 30 novembre et 1er décembre 2015,
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966,
– vu la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948,
– vu les observations finales du Comité des droits de l'homme des Nations unies sur le troisième rapport périodique de Hong Kong (Chine) adoptées par le Comité à sa 107e session (11-28 mars 2013),
– vu les observations finales du Comité des Nations unies contre la torture sur le cinquième rapport périodique de la Chine, adoptées par le Comité lors de ses 1 391e et 1 392e sessions, qui se sont tenues les 2 et 3 décembre 2015,
– vu la loi fondamentale de la région administrative spéciale de la République populaire de Chine (ci-après, la "loi fondamentale"), et notamment ses articles sur les libertés personnelles et la liberté de la presse, ainsi que la Hong Kong Bill of Rights Ordinance (ordonnance sur les droits de l'homme),
– vu l'article 135, paragraphe 5, et l'article 123, paragraphe 4, de son règlement,
A. considérant qu'au cours des quatre derniers mois, cinq libraires (Lui Bo, Gui Minhai, Zhang Zhiping, Lin Rongji et Lee Po), dont quatre résidents de Hong Kong et un non-résident, liés à l'éditeur et libraire Mighty Current réputé critique envers Pékin, ont disparu dans des circonstances mystérieuses; que deux d'entre eux sont citoyens de l'Union: Gui Minhai, de nationalité suédoise, et Lee Po, de nationalité britannique; qu'en janvier 2016, il a été confirmé que les deux citoyens de l'Union se trouvaient en Chine continentale, et que l'on soupçonne que les trois autres disparus s'y trouvent aussi; que Lee Po a provisoirement retrouvé son épouse le 23 janvier 2016 en un lieu resté secret de Chine continentale; que le manque d'information persistant sur l'état de santé des personnes disparues ainsi que sur le lieu où elles se trouvent est extrêmement préoccupant;
B. considérant que selon des allégations convaincantes de la presse et les craintes exprimées par des représentants du corps législatif, des organisations des droits de l'homme et de nombreux civils, les cinq libraires ont été enlevés par les autorités de Chine continentale; que, en particulier, Lee Po a été enlevé à Hong Kong, tandis que Gui Minhai a disparu de sa résidence en Thaïlande;
C. considérant que le 10 janvier 2016, des milliers de manifestants se sont rassemblés dans les rues de Hong Kong pour demander que les autorités municipales réagissent et éclaircissent les circonstances de la disparition des cinq libraires; que ces disparitions s'inscrivent dans le prolongement d'une série d'agressions perpétrées en 2013 et 2014 contre des journalistes de Hong Kong critiques envers Pékin;
D. considérant que Hong Kong respecte et protège la liberté d'opinion, d'expression et de publication; que la publication de textes critiques à l'égard du pouvoir chinois est légale, bien qu'elle soit interdite en Chine continentale; que le principe "un pays, deux systèmes" garantit l'autonomie de Hong Kong vis-à-vis de Pékin au regard des libertés ancrées dans l'article 27 de la loi fondamentale;
E. considérant qu'il a été révélé que 14 éditeurs et 21 publications de Hong Kong avaient été désignés comme cibles dans un document interne du Parti communiste d'avril 2015 exposant une stratégie pour "éradiquer" les livres interdits à la source à Hong Kong et Macao; que la peur des représailles a poussé certains libraires de Hong Kong à retirer de leurs rayons les livres critiquant la Chine;
F. considérant que le gouvernement de Chine continentale restreint de manière stricte et criminalise la liberté d'expression, notamment au moyen de la censure; que la "grande muraille électronique" ("Great Firewall") érigée par la Chine permet au gouvernement de censurer toute information politiquement inacceptable; que la Chine entrave fortement la liberté d'expression et que les livres critiques à l'égard de la Chine qui jouissent d'une popularité auprès des lecteurs de la Chine continentale sont considérés comme une menace pour la stabilité sociale;
G. considérant que, le 17 janvier 2016, Gui Minhai a publié dans les médias de la Chine continentale une déclaration dans laquelle il affirme s'être rendu volontairement en Chine continentale et admet, dans ce qui semble être des aveux forcés, avoir fait l'objet d'une condamnation précédente pour conduite en état d'ivresse;
H. considérant que les autorités suédoises et britanniques ont appelé les autorités chinoises à soutenir pleinement la protection des droits de leurs deux citoyens et des autres personnes "disparues";
I. considérant que le Comité des Nations unies contre la torture a déclaré être extrêmement préoccupé par les nombreuses informations émanant de sources diverses qui font état du maintien de la pratique de la détention illégale dans des lieux de détention secrets et officieux, connus sous le nom de "prisons noires"; qu'il a également fait part de ses vives préoccupations face aux nombreux témoignages indiquant que la torture et les mauvais traitements demeurent fortement ancrés dans le système de justice pénale, qui base de manière excessive les décisions de condamnation sur l'obtention d'aveux;
J. considérant que la Chine a officiellement et théoriquement reconnu l'universalité des droits de l'homme et a rejoint, au cours des trois dernières décennies, le cadre international des droits de l'homme en signant un grand nombre de traités relatifs aux droits de l'homme, adhérant ainsi au système juridique international et institutionnel des droits de l'homme;
K. considérant que l'article 27 de la loi fondamentale, qui représente la constitution de facto de Hong Kong, garantit "la liberté d'expression, la liberté de la presse et de publication, la liberté d'association et de réunion, et la liberté de procession et de manifestation"; que la loi fondamentale, négociée entre la Chine et le Royaume-Uni, garantit ces droits pendant une période de 50 ans s'achevant en 2047;
L. considérant que le 17e sommet UE-Chine, qui s'est tenu le 29 juin 2015, a donné une nouvelle dimension aux relations bilatérales, et que, dans son cadre stratégique en matière de droits de l'homme et de démocratie, l'Union s'engage à placer les droits de l'homme au cœur de ses relations avec tous les pays tiers, y compris ses partenaires stratégiques;
M. considérant que l'Union européenne et la Chine sont engagées dans des dialogues sur les droits de l'homme depuis 1995, et que les deux parties considèrent les droits de l'homme comme un élément important de leurs relations bilatérales;
N. considérant que, selon le 21e rapport annuel (juillet 2014) de l'association des journalistes de Hong Kong, 2014 a été l'année la plus sombre pour la liberté de la presse à Hong Kong depuis plusieurs décennies; que certains journalistes ont subi des agressions physiques ou ont été licenciés tandis que d'autres, prompts à exercer leur sens critique, ont été aiguillés vers des domaines moins sensibles;
1. se déclare extrêmement préoccupé par le manque d'informations concernant le lieu où se trouvent les cinq libraires disparus et leur état de santé; demande la publication immédiate d'informations détaillées sur l'état de santé de Lee Po et de Gui Minhai et sur le lieu où ils se trouvent, et demande qu'ils soient libérés sans plus attendre et qu'ils soient autorisés à communiquer; demande la libération immédiate de toutes les autres personnes arrêtées arbitrairement pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression et de publication à Hong Kong, y compris les trois autres libraires;
2. invite le gouvernement chinois à communiquer immédiatement toute information concernant les libraires disparus, et à établir sans attendre un dialogue et une communication transparents et sans exclusive sur ce sujet entre les autorités de Chine continentale et celles de Hong Kong; considère les nouvelles données par Lee Po et le fait qu'il a pu retrouver son épouse comme un signal positif;
3. invite les autorités compétentes de la Chine, de Hong Kong et de la Thaïlande à enquêter et à faire la lumière sur les circonstances de ces disparitions, dans le respect de l'état de droit et, dans la mesure du possible, d'aider les personnes concernées à rentrer chez elles en toute sécurité;
4. se déclare préoccupé par les allégations selon lesquelles les services répressifs de la Chine continentale interviendraient à Hong Kong; rappelle qu'une telle situation constituerait une violation de la loi fondamentale et considère qu'elle serait contraire au principe "un pays, deux systèmes"; demande à la Chine de respecter les garanties d'autonomie accordées à Hong Kong au titre de la loi fondamentale;
5. condamne fermement toutes les violations des droits de l'homme, en particulier les arrestations arbitraires, les transferts illégaux, les aveux forcés, la détention secrète, le recours à la détention au secret et les violations du droit à la liberté de publication et d'expression; rappelle que l'indépendance des éditeurs, des journalistes et des blogueurs doit être préservée; demande qu'il soit immédiatement mis fin aux actes de violation des droits de l'homme et d'intimidation politique;
6. condamne les restrictions à la liberté d'expression et sa criminalisation, et déplore le durcissement des restrictions à la liberté d'expression; demande au gouvernement chinois de cesser d'entraver la libre circulation des informations, notamment en restreignant l'usage d'internet;
7. est vivement préoccupé par l'imminence du projet de loi sur la gestion des ONG étrangères, étant donné que sous sa forme actuelle elle entraverait fortement les activités de la société civile chinoise et réduirait sensiblement la liberté d'association et d'expression dans le pays, notamment en interdisant les ONG étrangères qui ne sont pas immatriculées auprès du ministère chinois de la sécurité publique ainsi qu'en interdisant aux autorités provinciales de financer des organisations ou citoyens chinois et aux entités chinoises d'exercer des "activités" pour le compte de ces ONG étrangères non immatriculées ou avec leur autorisation, y compris les organisations implantées à Hong Kong et à Macao; demande aux autorités chinoises de revoir en profondeur ce projet de loi afin de le mettre en conformité avec les normes internationales en matière de droits de l’homme, y compris les engagements internationaux pris par la République populaire de Chine;
8. s'inquiète du nouveau projet de loi sur la cybersécurité qui renforcerait et institutionnaliserait les pratiques de censure et de surveillance du cyberespace, ainsi que de l'adoption de la loi sur la sécurité nationale et du projet de loi sur la lutte contre le terrorisme; fait remarquer que les juristes chinois réformateurs et les défenseurs des droits civils craignent que ces lois ne restreignent encore plus la liberté d'expression et favorisent l'autocensure;
9. est convaincu que des relations fortes et permanentes entre l'Union et la Chine offriront un cadre efficace pour un dialogue mûr, constructif et ouvert sur les droits de l'homme, reposant sur le respect mutuel;
10. souligne l'engagement de l'Union européenne en faveur du renforcement de la démocratie, dont l'état de droit, l'indépendance du système judiciaire, les libertés et droits fondamentaux, la transparence et la liberté d'information et d'expression à Hong Kong;
11. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission/haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au gouvernement et au Parlement de la République populaire de Chine, et au chef de l'exécutif et de l'Assemblée de la région administrative spéciale de Hong Kong.