Les procédures décisionnelles intergouvernementales
En matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC), ainsi que dans plusieurs autres domaines tels que les coopérations renforcées, certaines nominations et la révision des traités, la procédure décisionnelle est différente de celle qui prévaut pour la procédure législative ordinaire. Dans ces domaines, c’est davantage la coopération intergouvernementale qui est de mise. La crise de la dette publique et les défis qui en découlent ont augmenté le recours à ces mécanismes de prise de décision, notamment dans le cadre de la gouvernance économique européenne.
Base juridique
Articles 20, 21 à 46, 48 et 49 du traité sur l’Union européenne (traité UE); article 2, paragraphe 4, article 31, article 64, paragraphe 3, articles 81 et 89, article 103, paragraphe 1, articles 113, 115, 118, 127 et 153, article 191, paragraphe 3, article 192, article 194, paragraphe 2, articles 215, 218, 220, 221, 312, 329 et 333 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (traité FUE).
Description
A. Procédure de modification des traités (article 48 du traité UE)
- Proposition: tout État membre, le Parlement ou la Commission.
- Rôle de la Commission: consultation et participation à la conférence intergouvernementale.
- Rôle du Parlement: consultation avant la convocation de la conférence intergouvernementale (les conférences elles-mêmes font intervenir le Parlement sur une base ad hoc, mais avec une influence croissante: pendant un temps, il était représenté, soit par son Président, soit par deux de ses membres; lors de la conférence intergouvernementale la plus récente, il avait trois représentants).
- Rôle du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne: consultation dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire.
- Décision: commun accord des gouvernements sur les amendements aux traités qui sont ensuite soumis à la ratification de tous les États membres selon leurs règles constitutionnelles; cette étape doit être précédée d’une décision du Conseil européen, prise à la majorité simple, favorable ou non à la convocation d’une convention, après approbation du Parlement.
B. Procédure d’activation de clauses «passerelles»
- Conseil européen: déclenchement et décision, à l’unanimité, du recours à la clause passerelle générale (article 48 du traité UE) et à la clause passerelle spécifique au cadre financier pluriannuel (article 312 du traité FUE). Tout parlement national dispose du droit de veto en ce qui concerne la clause générale.
- Conseil: il peut décider d’autres clauses passerelles, à l’unanimité ou à la majorité qualifiée, conformément aux dispositions pertinentes du traité (article 31 du traité UE, articles 81, 153, 192 et 333 du traité FUE).
C. Procédure d’adhésion (article 49 du traité UE)
- Candidatures: tout État européen qui respecte les principes de l’Union (article 2 du traité UE); notification des parlements nationaux et du Parlement européen; le Conseil européen approuve les conditions d’éligibilité.
- Rôle de la Commission: consultation; elle participe activement à la préparation et au déroulement des négociations.
- Rôle du Parlement: approbation, à la majorité absolue des membres qui le composent.
- Décision: par le Conseil, statuant à l’unanimité; l’accord entre les États membres de l’Union et l’État candidat, fixant les conditions de l’adhésion et les adaptations nécessaires, est soumis à la ratification de tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.
D. Procédure de retrait (article 50 du traité UE)
- Demande: l’État membre concerné notifie son intention au Conseil européen, conformément à ses propres règles constitutionnelles.
- Conclusion: prend la forme d’un accord de retrait conclu par le Conseil, statuant à une majorité qualifiée spéciale, après avoir obtenu l’approbation du Parlement européen (article 238, paragraphe 3, point b), du traité FUE); celle-ci se définit comme étant égale à 72 % des membres du Conseil représentant les États membres participants (donc excluant l’État concerné), réunissant au moins 65 % de la population de ces États.
E. Procédure de sanction pour violation grave et persistante des principes de l’Union par un État membre (article 7 du traité UE)
1. Procédure principale
- Proposition de décision constatant l’existence d’une violation grave et persistante: présentée par un tiers des États membres ou par la Commission.
- Approbation du Parlement: adoptée à la majorité des deux tiers des voix exprimées, représentant une majorité de ses membres (article 83, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement européen).
- Décision constatant l’existence d’une violation: adoptée à l’unanimité par le Conseil européen, sans la participation de l’État concerné mais après avoir invité cet État à présenter ses observations en la matière.
- Décision de suspendre certains droits de l’État concerné: adoptée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée (sans participation de l’État concerné).
2. Le traité de Nice a complété cette procédure par un dispositif préventif.
- Proposition de décision motivée constatant l’existence d’un risque clair de violation grave des principes de l’Union par un État membre: sur l’initiative de la Commission, du Parlement ou d’un tiers des États membres.
- Approbation du Parlement: adoptée à la majorité des deux tiers des voix exprimées, représentant une majorité des membres qui le composent.
- Décision: adoptée par le Conseil à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après avoir entendu l’État en question. Le Conseil peut adresser des recommandations à l’État membre avant de prendre une telle décision.
F. Procédure de coopération renforcée
1. Règles générales (article 20 du traité UE, article 329, paragraphe 1, du traité FUE)
- Proposition: prérogative exclusive de la Commission; les États membres qui se proposent d’instaurer une coopération renforcée peuvent adresser une demande en ce sens à la Commission.
- Rôle du Parlement: approbation.
- Décision: prise par le Conseil, qui statue à la majorité qualifiée.
2. Coopération portant sur le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) (article 329, paragraphe 2, du traité FUE)
- Demande des États membres concernés adressée au Conseil.
- La proposition est transmise au Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (HR), qui donne son avis.
- Information du Parlement européen.
- Le Conseil statue à l’unanimité.
Il existe une procédure semblable pour instaurer une coopération structurée dans le domaine de la politique de défense, introduite par le traité de Lisbonne (voir fiche 5.1.2).
G. Procédures décisionnelles applicables aux affaires étrangères
Le traité de Lisbonne a supprimé la structure à trois piliers instaurée par les traités précédents, mais a maintenu la séparation entre la politique étrangère et les autres politiques de l’Union. Les objectifs et les dispositions en matière de PESC figurent dans le traité sur l’Union européenne. Ils sont désormais mieux formulés et plus cohérents que dans les traités précédents.
La création de la fonction de Haut Représentant est changement institutionnel majeur; il est assisté par un nouveau service pour l’action extérieure et peut proposer des initiatives relevant de la PESC. La PESC a été intégrée dans le cadre de l’Union mais elle est soumise à des règles et procédures spécifiques (article 24, paragraphe 2, du traité UE).
- Proposition: tout État membre, le Haut Représentant ou la Commission (article 22 du traité UE).
- Rôle du Parlement: information régulière par la présidence et consultation sur les principaux aspects et les choix fondamentaux. L’accord interinstitutionnel concernant le financement de la PESC précise que cette consultation se fera annuellement sur la base d’un document élaboré par le Conseil.
- Décision: le Conseil européen ou le Conseil, statuant à l’unanimité. Le Conseil européen définit les priorités et les intérêts stratégiques de l’Union, tandis que le Conseil prend des décisions ou mène des actions. Le Haut Représentant et les États membres mettent en œuvre ces décisions en recourant aux ressources nationales ou européennes. Le président du Conseil européen peut convoquer une réunion extraordinaire du Conseil européen, si l’évolution de la situation internationale le requiert.
H. Autres mesures législatives (voir fiche 2.6.8)
Les décisions intergouvernementales sont également conservées dans plusieurs domaines de la politique européenne considérés comme politiquement sensibles, en particulier les suivants:
- Justice et affaires intérieures: les mesures relatives à la coopération judiciaire en matière pénale et à la coopération judiciaire (article 89 du traité FUE).
- Marché intérieur: les restrictions aux mouvements de capitaux (article 64, paragraphe 3, du traité FUE), la politique de concurrence (article 103, paragraphe 1, du traité FUE), les mesures d’harmonisation fiscale (article 113 du traité FUE), le rapprochement des législations relatives à l’établissement du marché intérieur (article 115 du traité FUE), les droits de propriété intellectuelle (article 118 du traité FUE).
- Politique monétaire: l’attribution de missions spécifiques de surveillance prudentielle à la Banque centrale européenne (BCE) (article 127 du traité FUE).
- Autres domaine stratégiques, comme les politiques sociales et de l’emploi (article 153 du traité FUE), l’énergie (article 194, paragraphe 2, du traité FUE) ou l’environnement (article 191, paragraphe 3, du traité FUE).
I. Gestion de la crise financière (voir fiche 2.6.8)
Face à l’apparition de difficultés financières sérieuses dans certains États membres en 2010, il s’est avéré nécessaire de leur venir en aide par différents moyens. L’Union européenne gère certains éléments de l’ensemble des moyens d’aide, notamment le mécanisme européen de stabilisation financière. La plus grande partie, notamment les contributions au Fonds européen de stabilité financière (FESF), est directement versée par les États membres. Le FESF est un organe ad hoc créé sur la base d’un accord intergouvernemental conclu entre les États membres de la zone euro. C’est pourquoi les décisions requises au titre de ces mesures intergouvernementales ont dû être adoptées par le Conseil européen, ou par les chefs d’État ou de gouvernement de l’Eurogroupe, et être ratifiées dans les États membres conformément aux exigences constitutionnelles nationales. Deux importantes raisons en sont la clause de «no-bail-out» ou «non-renflouement» (article 125 du traité FUE) ainsi que la résistance opposée par certaines cours constitutionnelles nationales, qui refusent de transférer davantage de pouvoirs financiers et budgétaires à l’Union européenne.
Le Conseil européen a adopté le 25 mars 2011 un amendement à l’article 136 du traité FUE (coordination de la politique économique), conformément à la procédure de révision simplifiée des traités, sans convoquer de convention (décision 2011/199/UE du Conseil européen). Cette décision est entrée en vigueur en avril 2013, permettant ainsi l’application de mécanismes permanents de prévention des crises, tels que le mécanisme européen de stabilité (MES). Ce dernier a été instauré par un traité intergouvernemental entre les membres de la zone euro, qui est entré en vigueur le 27 septembre 2012. Les procédures de vote au sein de son conseil d’administration comprennent une «procédure d’urgence», qui requiert une majorité qualifiée de 85 % si la Commission et la BCE estiment qu’une décision urgente est nécessaire en matière d’aide financière. Pour finir, un traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG) a été élaboré par les gouvernements de certains États membres et est entré en vigueur au 1er janvier 2013, après que douze des parties contractantes dont la monnaie est l’euro ont déposé leur instrument de ratification. Ce traité prévoit notamment l’inscription d’une règle d’équilibre budgétaire dans les ordres juridiques nationaux (le «pacte budgétaire»). Vingt-deux des 25 pays signataires du TSCG sont officiellement liés par le pacte budgétaire (les 19 États membres de la zone euro, auxquels s’ajoutent la Bulgarie, le Danemark et la Roumanie).
J. Nominations
- Le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, nomme le président, le Vice-président et les quatre autres membres du directoire de la Banque centrale européenne, sur recommandation du Conseil et après consultation du Parlement (article 283, paragraphe 2, du traité FUE).
- Le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée et avec l’accord du président de la Commission, nomme le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (article 18, paragraphe 1, du traité UE); en sa qualité de Vice-président de la Commission, le Haut Représentant est néanmoins soumis, de même que le président de la Commission et les autres membres de la Commission, à un vote d’approbation par le Parlement.
- Les gouvernements des États membres nomment d’un commun accord les juges et avocats généraux de la Cour de justice de l’Union européenne et du Tribunal — anciennement Tribunal de première instance — (article 19, paragraphe 2, du traité UE).
- Le Conseil nomme les membres de la Cour des comptes, à la majorité qualifiée, sur recommandation de chaque État membre et après avoir consulté le Parlement européen (article 286, paragraphe 2, du traité FUE).
Rôle du Parlement européen
Lors des préparatifs de la conférence intergouvernementale de 1996, le Parlement européen avait déjà demandé de «communautariser» les deuxième et troisième piliers, de telle sorte que les procédures décisionnelles en vigueur au titre du traité instituant la Communauté européenne leur soient également applicables.
À la suite des efforts constants déployés par le Parlement pour intégrer les anciens deuxième et troisième piliers à la structure de l’Union européenne lors de la Convention européenne (voir fiche 1.1.4), le traité de Lisbonne a étendu le processus décisionnel de type supranational à l’ancien troisième pilier (justice et affaires intérieures) et mis en place un cadre institutionnel cohérent pour la politique étrangère et de sécurité, comportant d’importantes innovations, telles que la création de la fonction de président permanent du Conseil européen ainsi que celle de Haut Représentant.
Dans le cadre du renforcement du caractère intergouvernemental de la gouvernance économique et budgétaire, le Parlement a contribué à faire en sorte que les institutions européennes participent comme il se doit aux négociations sur le traité international mentionné plus haut, au point I.
En février 2019, le Parlement a adopté une résolution sur la mise en œuvre des dispositions du traité concernant la coopération renforcée[1], dans laquelle il a formulé ses recommandations pour l’évolution future de la coopération renforcée. Le Parlement estimait notamment qu’il était nécessaire d’élaborer une procédure en vue de l’autorisation accélérée d’une coopération renforcée dans des domaines de grande importance politique, devant être achevée dans un délai inférieur à celui correspondant à deux présidences consécutives du Conseil. Il a également invité la Commission à présenter un règlement pour simplifier et unifier le cadre juridique applicable pour une coopération renforcée.
Dans sa résolution du 13 février 2019 sur l’état du débat sur l’avenir de l’Europe[2], le Parlement a préconisé l’utilisation des clauses passerelles générales (article 48, paragraphe 7, premier et deuxième alinéas, du traité UE) et d’autres clauses passerelles spécifiques afin de sortir de l’impasse du vote à l’unanimité sans avoir à chercher des solutions intergouvernementales hors du champ des traités. Le rapport sur les résultats finaux de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, présenté le 9 mai 2022 aux présidents des trois institutions, insiste sur l’importance de réviser les processus décisionnels fondés sur l’unanimité. Le 11 juillet 2023, le Parlement a adopté une résolution[3] sur la mise en œuvre des clauses «passerelle» dans les traités de l’Union européenne.
Eeva Pavy