Anne-Lise Guigues, lauréate du Prix du public du concours « Ma thèse en histoire de l’art en 180 secondes »

Après des études à l’université Lumière Lyon II, Anne-Lise Guigues s’est spécialisée en archéologie orientale à l’École du Louvre en réalisant des recherches sur l’histoire des expositions temporaires et sur la collection des antiquités du Luristan du musée du Louvre. Inscrite en doctorat depuis 2021 à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’Ecole du Louvre, et bénéficiant du dispositif CIFRE, ses recherches portent sur l’étude de l’organisation du marché des antiquités au XXe siècle et des réseaux de marchands et de collectionneurs au Proche-Orient et en France qui ont vendu au département des Antiquités orientales du Louvre entre 1918 et 1970.

Le samedi 1er juin 2024, sa prestation lors du concours « Ma thèse en histoire de l’art en 180 secondes » a été récompensée par le prix du public. 

Graphique représentant les réseaux de marchands et de collectionneurs entre le Liban et la France au XXe siècle. Réalisation personnelle

« Rentrer dans les coulisses des objets archéologiques

Lorsque l’on passe devant une vitrine d’un musée, la première chose qui attire l’œil c’est l’objet, sa forme, son matériau et ce qu’il représente. On regarde aussi sa date, sa provenance géographique et les explications présentes sur le cartel. Mais bien souvent, on remarque à peine la petite ligne qui mentionne le mode d’acquisition de l’objet, son ancien propriétaire et son numéro d’inventaire. Ce sont ces quelques mots qui sont au cœur de mes recherches. Vous êtes peut-être en train de vous demander quel est le rapport entre cette représentation graphique et le sujet de ma thèse. Aujourd’hui je vous invite à rentrer dans les coulisses des objets archéologiques et vous avez ici la représentation de ce qui se passe derrière le rideau.

Partons donc dans les années 1920, dans le 9e arrondissement de Paris, au cœur du marché des antiquités du Proche-Orient ancien. Depuis le début du XXe siècle, des marchands de nationalité iranienne, syrienne et irakienne s’installent dans les rues les plus proches de l’Hôtel Drouot. Les collectionneurs qui découvrent les antiquités orientales avec le développement des fouilles archéologiques accroissent la demande sur le marché. Tous ces acteurs en vert sur le graphique vendent alors dans les mêmes années directement au musée du Louvre. Mais ce n’est ici que la dernière étape du parcours des antiquités et elles ont en réalité vécu un périple bien plus long auparavant.

Pour reconstruire l’historique du voyage de chaque objet, il faut croiser les sources d’archives et rassembler des données géographiques, archéologiques, juridiques mais aussi biographiques. C’est en redécouvrant les anecdotes parfois dignes des romans d’Agatha Christie et des enquêtes d’Hercule Poirot que l’on peut retracer l’itinéraire des antiquités depuis leur site archéologique de découverte jusqu’à Paris. Plus on se rapproche du site de provenance archéologique, plus les acteurs sont nombreux, comme vous pouvez le voir en orange et en rose sur le graphique. Vendues par plusieurs intermédiaires, les antiquités entament alors leur trajet vers l’Europe, acheminées par bateau, par avion ou par colis postal.

Mais ce que montre également ce graphique, c’est qu’au-delà de l’objet, il y a des personnes qui ont accompagné pendant un moment la vie de l’antiquité. Ces marchands ont connu les bouleversements du XXe siècle, les mandats français et britanniques au Proche-Orient, la Seconde Guerre mondiale, les indépendances des pays et parfois même les guerres civiles. Ces acteurs contribuent ainsi à la mémoire des objets. Cette mémoire qui se lit à travers les archives mais aussi l’histoire matérielle de chaque antiquité. Les traces de corrosion, de concrétions archéologiques, d’anciens numéros d’inventaire, sont les souvenirs du passé de chaque antiquité et des personnes parfois tombées dans l’oubli qui ont soudé le temps d’un instant leur vie à celle de l’objet.

La prochaine fois que vous irez dans un musée, vous regarderez les œuvres autrement et vous pourrez rêver du voyage qu’elles ont pu effectuer à travers le monde, parfois de Téhéran à Bangkok et Hawaï et de Beyrouth à la Colombie et à l’Australie. » 

Le concours « Ma thèse en histoire de l’art et en archéologie en 180 secondes » est organisé chaque année grâce au soutien de la Fondation pour l’art et la recherche.