L’Assemblée nationale est-elle « contaminée » par les réseaux sociaux ? C’est le constat dressé par l’économiste Yann Algan, professeur à HEC et co-auteur d’une étude sur l’évolution des prises de paroles des députés depuis 2007.
Le sentiment de voir une Assemblée Nationale plus tendue, plus polarisée depuis plusieurs années est désormais étayé par les travaux auxquels l’économiste Yann Algan a participé : « Fièvre parlementaire : ce monde où l’on catche ! ». Les auteurs de l’étude se sont penchés sur l’ensemble des discours numérisés sur le site NosDéputés.fr depuis 2007, soit deux millions d’interventions passées au crible de l’Intelligence artificielle.
Les premier constat est celui d’ « une grande rupture en 2017 », année de la première élection d’Emmanuel Macron. Au sein du Palais Bourbon, on constate alors « une montée en puissance des passions, et une explosion de la rhétorique émotionnelle, aux dépens d’interventions sur les faits et les raisonnements », indique Yann Algan.
Il n’y a plus de sujets consensuels
Cela va de pair avec une prise de parole très réduite. Les députés parlent aujourd’hui presque deux fois moins qu’il y a vingt ans lorsqu’ils sont face à leurs collègues de l’Assemblée nationale. Autre fait marquant : près d’une intervention sur deux « est une interruption plutôt qu’un développement de [sa] propre idée ».
L’invité de David Abiker rappelle d’ailleurs la première allocution de l’ex ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, surpris de ne pas pouvoir commencer une phrase : « il s’est tourné vers Richard Ferrand, alors président de l’Assemblée, qui lui a conseillé de ‘souffrir en silence’ ».
Depuis 2017, un autre phénomène a attiré l’attention de Yann Algan : « jusque-là, il y avait les sujets consensuels et ceux qui pouvaient entraîner des conflits ». Aujourd’hui toutes les thématiques sont susceptibles de provoquer des débats parlementaires interminables.
« L’Assemblée a toujours été un lieu théâtral mais le public a changé »
Parmi les explications à ces changements, l’arrivée des réseaux sociaux dans le débat public. Pour l’économiste, ils ont « contaminé directement l’antre de la démocratie représentative », autrement dit l’Assemblée nationale. « Les codes des réseaux sociaux sont au cœur du comportement des députés », explique-t-il. « L’Assemblée a toujours été un lieu théâtral mais le public a changé » : les élus s’adressaient à leurs collègues, ou aux journalistes.
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« Il fallait montrer qu’on était un bon député, qu’on connaissait les dossiers, les chiffres », détaille Yann Algan. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, poursuit-t-il : « ils s’adressent à leurs followers dans des interventions courtes ». Cela entraîne un discours beaucoup plus manichéen, qui s’adresse à l’ensemble de la population. « C’est le sacre de l’électeur émotionnel ».
Béatrice Mouedine
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