Copain du Monde
Rennes : une fête de Noël pour les enfants sans-abri
Les « Copain du Monde », jeunes bénévoles du Secours populaire, ont organisé à Rennes une fête de Noël pour les enfants sans-abri et leurs familles. Ceux-ci ont pu, au rythme d’un concert et autour d’un goûter, vivre un temps de répit et de bonheur et repartir les bras emplis de cadeaux.
Ce dimanche 22 décembre, le vent est vif à Rennes et le froid mordant. La bruine, depuis le petit matin, tombe avec insistance. Mais rien ne saurait entamer le moral et altérer les sourires des sept adolescents « Copain du Monde » qui se sont donnés rendez-vous à 10h30 au BAM – le Bâtiment à modeler, lieu de vie culturel et solidaire, sis dans le quartier de Cleunay. Ces jeunes bénévoles du Secours populaire travaillent depuis des semaines à l’organisation d’une fête de Noël pour les enfants sans-abri de Rennes et leurs familles, qui vivent dans des conditions extrêmement précaires dans deux gymnases et neuf écoles de la ville. « Nous souhaitons leur apporter un moment de détente et de plaisir et que ce moment, ils puissent le passer avec leurs parents », résume simplement Gabrielle, 14 ans. Avec les bénévoles du Secours populaire qui les accompagnent, ils déchargent du camion les palettes qui contiennent les boissons, les mets, le matériel de décoration ainsi que les jeux, jouets et livres que ces jeunes ont collectés dans les écoles et collèges de la ville. Ils se séparent ensuite en deux équipes. Zaïna, Sam et Amarillo s’attellent à décorer la grande salle de spectacle qui, en quelques heures, se pare d’un air de fête. Du haut sapin orné de boules aux guirlandes lumineuses qui zigzaguent le long des murs, des petites tables rondes nappées de rouge au long buffet sur lequel s’alignent les boissons et les coupes de bonbons, tout appelle la magie de Noël. Gabrielle, Cataleya, Amélie et Nina installent quant à elles, dans une autre pièce, le libre-service de jouets afin que chacun des enfants conviés puissent repartir les bras chargés de présents qu’ils auront eux-mêmes choisis.
« Aujourd’hui, on fête Noël ! »
Le contenu des caisses de jouets et livres que les quatre jeunes filles déballent, Gabrielle le connaît par cœur : elle a passé le week-end précédent à le trier avec une amie. « Il y en avait tellement qu’on a cru qu’on n’y arriverait jamais mais on a bien usiné et on a réussi ! », s’amuse-t-elle. Il n’y a, au sein de l’équipe d’enfants, pas de chef – tout le monde participe à sa mesure et sait ce qu’il a à faire. Le travail se mène sereinement et dans la bonne humeur et l’équipe d’animateurs bénévoles du Secours populaire est là pour l’accompagner, main dans la main, et non le superviser. Pour l’encourager avant tout. Les enfants « Copain du Monde » de Rennes ne comptent pas leurs efforts pour cette campagne des Pères Noël verts. La veille, une dizaine d’entre eux étaient présents pour accueillir les centaines d’enfants des familles invitées à un spectacle de magie. Le lendemain, tous seront mobilisés sur l’organisation d’une grande braderie de jouets à prix libre dans le centre social du quartier de Maurepas, le plus pauvre de Bretagne. Mais pour l’heure, ils mettent la dernière main aux préparatifs de « Boumbam », cette boum familiale au BAM dans laquelle ils jettent leurs forces et leurs espoirs. Les derniers bonbons sont versés dans les coupes, les derniers boules accrochées au sapin quand les premières familles arrivent. Il est 13h30. Une pièce a été spécialement décorée pour les accueillir autour d’un café, avant qu’elles ne se dirigent vers la salle de spectacle. Le nombre d’enfants « Copain du Monde » ainsi que d’adultes venus leur prêter main forte a à présent doublé : en tout, ce sont près de 25 bonnets verts, de 10 à 70 ans, qui s’activent tels des lutins.
La première musique que l’on entend est celle des langues. Les familles invitées sont dans leur grande majorité des familles migrantes, venues du monde entier – de Géorgie, Côte d’Ivoire ou Syrie ; du Brésil ou du Soudan ; d’Angola, d’Algérie ou encore d’Azerbaïdjan. Angela, une petite Albanaise de 10 ans, est accompagnée par ses parents, son frère et sa sœur. Elle s’est apprêtée pour l’occasion, coiffée avec soin ; un sourire radieux illumine son visage ; elle serre son petit sac à main à bandoulière dorée. « Aujourd’hui, on fête Noël ! », annonce-t-elle solennellement. Dans sa poche est glissée l’invitation que les « Copain du Monde » ont remis à sa famille, lors de leurs visites au sein des gymnases et des écoles. La deuxième musique est celle qui sourd des enceintes. Dylann, DJ bénévole, fait doucement mais sûrement monter l’ambiance. La fête ne fait que commencer, il est 14h30 et la salle est pleine – 125 personnes environ sont rassemblées, dont une bonne moitié danse déjà sur la piste. Perparim, originaire de Macédoine, filme au téléphone sa femme Enchelada qui danse le madison, avec leur toute jeune Amelia dans les bras. Dans son autre main, il tient la crêpe au sucre, encore fumante, de son enfant. Gabrielle, dont l’espoir était « de voir des sourires sur les visages », peut être rassurée. Dans un coin de la salle, au stand de maquillage, elle peint, sur le visage d’Iman, 5 ans, qui a fait une longue route depuis le Darfour, un beau papillon ainsi qu’un cœur bien rouge sur la main. Dans le coin opposé, des enfants se pressent au jeu de la pêche à la ligne pour tenter de puiser dans le grand bac une peluche — aucun ne repartira bredouille.
« J’ai la tête dans les étoiles, je réalise mes rêves. »
Il est 15h30 et c’est le clou du spectacle. Dylann, quand il n’est pas DJ, est chanteur et interprète de ses propres chansons sous l’alias de « L’héros Rose ». « Ce que je souhaite faire, c’est une musique pour toute la famille, que parents et enfants vibrent ensemble », confie le musicien bénévole avant d’empoigner sa guitare. Son ami Lucas prend le relais derrière l’ordi et, trente minutes durant, L’héros Rose emmène toute la salle. Tamina, Géorgienne de 19 ans, venue avec sa maman, saute au rythme des beats, agitant dans la pénombre de la salle un bâton lumineux qu’elle fait danser telle une luciole. « J’ai la tête dans les étoiles, je réalise mes rêves » chante Dylann. Son rêve à elle, glissera, radieuse, Tamina après le concert, c’est de pouvoir suivre « des études en France, un CAP cuisine. Et d’y trouver un endroit où vivre, pour moi et mes parents ».
Le Père Noël vert, avec qui les enfants ont posé pour une photo souvenir, les amène à présent, par petites grappes, jusqu’au libre-service. Iman, la petite Soudanaise au cœur sur la main, en repart, hilare, avec deux livres illustrés, un puzzle et une licorne en peluche aussi grande qu’elle. « Aujourd’hui, j’ai tout préféré. Mais ce que j’ai préféré le plus, c’est danser et regarder les étoiles », dit-elle en pointant du doigt le mur où un projecteur fait valser une nuée d’étoiles multicolores. A 17h, tous les enfants ont reçu un cadeau mais les familles s’attardent ; il est des plaisirs que l’on souhaite faire durer. Toutes ont été touchées par l’ambiance chaleureuse et les attentions qui leur ont été portées, qui offrent un répit dans un quotidien rythmé par les difficultés, les privations, l’exclusion et l’incertitude. « Nous avons dansé ensemble, nous avons fait la fête ensemble », avance Sam, 13 ans, un des « Copain du Monde » aux manettes de la fête. C’était important pour ces enfants. Quand je vais les voir, dans les gymnases où ils vivent, ils n’ont rien à faire et ont souvent l’air triste. Aujourd’hui, ils sont heureux ». La dernière louche des huit litres de pâte crépite sur la crêpière mais la scène est encore emplie d’enfants qui dansent. Avant que les familles ne repartent, Rayan, petit Ivoirien de 9 ans, offre des bonbons à la ronde, qu’il tire d’un gobelet. Son visage, maquillé en Spiderman, s’éclaire quand on en prend un.
Il est bientôt 19h. Gabrielle, accompagnée de ses parents, franchit les portes du gymnase Félix Masson. Dans la caisse qu’elle porte à bout de bras, il y a les cadeaux que les enfants n’ont pas pu emmener, quand ils étaient trop volumineux pour le trajet en métro que les familles devaient effectuer. Quand elle apparaît, les petits accourent : ils l’attendaient de pied ferme. Les quatre murs immenses du gymnase sont occupés par des tentes ou, parfois, des matelas à même le sol. Des jeunes jouent, en son centre, au basketball. Une fillette fait de la trottinette. Les gens discutent par petits groupes autour de tables bricolées. La vie est plus forte que tout – « on s’habitue à tout », sourit avec mélancolie Stéphanie, la maman de Rayan. Ce dernier, toujours maquillé en super-héros, brandit le livre et la grande voiture qu’il a puisés dans la caisse de Gabrielle. L’enfance est plus forte que tout. Son petit frère Franck, épuisé de sa journée de fête, s’endort dans le giron de Stéphanie. Le sourire tendre de la maman est surmonté d’une toque de cheffe. Ce soir, elle a fait « pour tous ceux qui le souhaitent », de la soupe au poulet et du riz. « Dans notre situation, il faut partager, s’entraider. Bien manger, c’est un plaisir, et ce n’est pas parce qu’on traverse les pires difficultés qu’il faut renoncer aux joies de la vie. » Tandis que Franck somnole dans ses bras, Stéphanie évoque le long chemin, six mois durant, qu’elle a fait « à travers le désert » depuis la Côte d’Ivoire pour venir en France, seule avec ses deux enfants. Elle les regarde longuement tous deux. « Noël est un moment de joie et de partage. J’ai vu mes enfants heureux, épanouis, lumineux. Ils ont vécu aujourd’hui quelque chose d’exceptionnel. »